Un jour de fermeture hebdomadaire pour la BnF

 

Section de la Bibliothèque nationale de France

 

Il faut qu’une bibliothèque soit ouverte ou fermée et de préférence ouverte. Or la BnF va avoir le privilège d’être dans l’entre-deux. En effet, la direction de l’établissement propose d’ouvrir des jours différents les deux niveaux de la bibliothèque : du lundi au samedi pour le niveau Rez-de-jardin, de 9 heures à 20 heures, et du mardi au dimanche pour le Haut-de-Jardin, de 10 heures à 20 heures cette fois-ci. On aura donc une partie des salles accessibles à certains moments pour un certain public, le reste obstinément fermé aux autres, et inversement. Cela semble obscur, et en réalité ça l’est. Selon le type de recherche, le niveau de lecture, le genre de lecteur, l’heure d’arrivée de celui-ci et d’autres critères qui peuvent éventuellement encore s’y ajouter, on pourra ou on ne pourra pas entrer dans le bâtiment.

On imagine la joie du lecteur " chercheur " arrivant avec la foule du dimanche et ne pouvant que la suivre en Haut-de-Jardin. Encore ne sera-t-il pas venu pour rien. Mais que dire au lecteur " non accrédité " du lundi, trouvant bâtiment ouvert et portes closes pour lui ? Que répondre à ses " Pourquoi eux et moi non ? Cette bibliothèque est-elle bien UNE bibliothèque sur UN site ? ".

Car c’est bien la question de l’unicité de la BnF que pose cette ouverture décalée. Elle entraîne plusieurs types de problèmes sans en résoudre aucun : diminution du service offert au public, remise en cause de la complémentarité des fonds en libre-accès entre Haut et Rez-de-Jardin, difficultés techniques s’aggravant au fil des mois, incidence budgétaire non négligeable.

 

1. Le service au public : les chercheurs ne sont pas tous " professionnels "

De plus en plus l’activité de recherche à plein temps est un confort révolu ou réservé à quelques mandarins.

Les jeunes chercheurs (dont nos instances dirigeantes déplorent régulièrement la fuite vers des pays plus accueillants) sont nombreux à mener à bien une thèse tout en exerçant une activité salariée.

Nombreux sont également ceux qui enseignent dans le secondaire, souvent dans de lointaines banlieues ou même en province et avec des horaires assez lourds, en semaine et le samedi. Quant aux chercheurs professionnels, s’arrêtent-ils vraiment de chercher le week-end ?

En outre, d’autres personnes que les " chercheurs " universitaires peuvent avoir besoin d’accéder aux fonds patrimoniaux pour une recherche personnelle. Sans oublier les nombreux chercheurs des pays voisins auxquels la perspective d’une ouverture le dimanche offrirait une plus grande opportunité d’effectuer leurs travaux en fin de semaine, compte tenu de leur emploi du temps.

Pour tous, l’ouverture des salles de lecture le dimanche serait un réel progrès.

Il semble d’ailleurs qu’à ce jour, dans la mesure où le Haut-de-jardin est ouvert le dimanche, de nombreux chercheurs s’attendent à ce que le Rez-de-jardin le soit aussi. Les salles de lecture du Rez-de-Jardin resteront vides si elles n’accueillent que les lecteurs fréquentant habituellement le site Cardinal-de-Richelieu (il y a près de 1 800 places à Tolbiac contre près de 600 à Richelieu). Il conviendrait que la future politique d’accréditation en tienne compte.

À tout cela l’unique objection de la direction est qu’une enquête auprès du public de Richelieu aurait montré une majorité de chercheurs hostile au dimanche. Outre qu’on peut poser la question de la fiabilité de l’enquête (qui a réellement été interrogé ? combien ? selon quels critères ...), il est à supposer qu’un questionnaire adressé au même public sur l’utilité d’ouvrir le Haut-de-Jardin le dimanche aurait donné les mêmes résultats. Or le site François-Mitterand est saturé le dimanche. Car l’ouverture dominicale amène des lecteurs nouveaux qui n’ont jamais été pris en compte.

 

2. Mise en péril de la complémentarité des fonds :

La politique documentaire qui a été définie par la BnF conçoit les collections comme un ensemble organisé dont l’ambition est avant tout encyclopédique. Les fonds en libre-accès des niveaux Haut et Rez-de-Jardin ont été développés, après consultation extérieure de spécialistes par discipline, de façon à ce qu’ils soient complémentaires et non pas répartis en  " deux bibliothèques " distinctes. Ceci vaut particulièrement pour la production éditoriale étrangère, largement représentée dans les collections, pour laquelle le doublonnement des documents a été limité. Par exemple, certains types de documents comme les correspondances d’auteurs se trouveront en principe au niveau Recherche (Rez-de-Jardin) alors que les biographies d’auteurs seront de préférence localisées au niveau Étude (Haut-de-jardin).

D’autre part, certains fonds spécifiques sont uniquement localisés en Haut-de-jardin. C’est le cas du Pôle de ressources et d’information sur le monde l’entreprise (en salle D).

La consultation en libre-accès des derniers numéros de la presse française et étrangère (sur les trois derniers mois) ne sera également possible qu’en Haut-de-jardin, dans la salle A, alors que les numéros antérieurs, tant demandés par les lecteurs, se trouvent en magasin donc uniquement accessibles en Rez de jardin.

3. Problèmes techniques :

Maintenance et sécurité du bâtiment

L’absence d’un jour de fermeture commun aux deux niveaux va engendrer de nombreux problèmes de maintenance du bâtiment. Ce n’est pas un hasard si de très nombreux établissements culturels parisiens (Louvre, B.P.I., Cité des Sciences …) ont instauré un jour de fermeture en semaine afin de permettre les opérations lourdes sur les matériels.

A la BnF, les travaux d’entretien dans les salles de lecture du Rez de jardin devront se dérouler après 20h ou le dimanche.

Autre exemple : la maintenance préventive des ascenseurs ne pourra également s’effectuer que le dimanche ou la nuit puisque les autres jours, les ascenseurs seront utilisés par les agents et serviront pour les communications de documents qui ne peuvent être acheminés par le T.A.D. (Transport Automatisé de Documents).

En ce qui concerne la sécurité, les essais concomitants de détection incendie en Haut et Rez-de-jardin ne pourront avoir lieu que la nuit.

On peut presque se demander si l’on accordera une prime au jardinier pour qu’il vienne tondre la pelouse le dimanche et pas le lundi pour ne pas gêner les chercheurs ?

Outre le surcroît engendré par ce type d’opérations, une autre conséquence de cette situation est que rapidement les personnels évolueront dans un environnement professionnel dégradé. Les nuisances occasionnées par des travaux d’entretien n’épargneront pas les lecteurs non plus.

Maintenance du SI (Service d’Information)

Que dire des applications informatiques communes aux deux niveaux de la Bibliothèques et des matériels qui demanderont sans aucun doute, pour leur mise au point et leur amélioration, des arrêts pour traitement, sauvegarde des données ou maintenance ?

L’ouverture sept jours sur sept implique que soit ces opérations s’effectueront avec du public, qui devra en supporter tous les désagréments et les gênes, soit qu’elles ne se feront pas. Dans tous les cas, l’équipement BnF, bien public, se dégradera très rapidement.

4. Incidence budgétaire :

Il conviendrait d’estimer – ce qui n’a jamais été fait - le surcoût qu’occasionnerait une ouverture décalée du Haut-de-jardin et du Rez-de-jardin en matière de budget de fonctionnement de l’établissement. Ce surcoût ne devrait pas manquer d’être remarqué, et sanctionné par les tutelles budgétaires.

En outre, comme nous l’avons illustré dans les exemples précédents, la maintenance des installations sera nécessairement effectuée de nuit ou le dimanche par des sociétés privées qui factureront ce service plus cher.

Si au contraire le jour de fermeture hebdomadaire est commun pour les deux niveaux et se trouve être un jour de semaine, la maintenance informatique et du batiment s’en trouvera grandement facilitée et son coût sera réduit d’autant.

5. Conditions de travail du personnel :

L’ouverture décalée des deux niveaux de la bibliothèque va singulièrement compliquer le travail des agents chargés de l’accueil du public et de la sûreté du bâtiment.

Ce sont eux qui seront en première ligne pour expliquer aux lecteurs les subtilités des horaires et du planning des jours d’ouverture. Les remarques des lecteurs exprimant leur mécontentement risquent, elles, d’être à juste titre nombreuses et sonores.

Il faut donc un jour de fermeture unique.

Il n’est pas envisageable de fermer le Haut-de-Jardin le dimanche, car c’est le jour où l’on enregistre la plus forte fréquentation. D’autre part, comme nous l’avons vu, une maintenance du bâtiment le dimanche aurait un coût considérable. C’est donc l’ouverture ce même jour du Rez-de-Jardin qui est l’issue la plus efficace et la plus nécessaire.

Il ne faut pas oublier également que la BnF est une des grandes bibliothèques mondiales, et qu’une institution fermant alternativement des salles puis d’autres, selon une logique uniquement compréhensible par un spécialiste des rouages de l’administration française, ne donne pas une bonne image de marque de ce que devrait être la Bibliothèque nationale de ce pays.

Cependant, l’établissement doit obtenir la garantie de moyens suffisants pour ouvrir le dimanche. Cela peut être obtenu en impliquant dans le service public tous les personnels de bibliothèque quel que soit leur service d’affectation et en mettant en place une répartition moins cloisonnée des tâches. Dans ces conditions, l’ouverture dominicale ne devrait pas augmenter le nombre de dimanches travaillés par agent, négocié et fixé par le règlement intérieur.

Contrairement à ce qui se passe concernant le samedi (or le travail du samedi est tout aussi contraignant et entrave tout autant la vie de couple, de famille, associative ou de loisirs), les compensations offertes pour le travail le dimanche sont relativement appréciables : en effet, si la prime est très peu motivante (et toujours interdite aux contractuels), la journée supplémentaire de récupération peut être intéressante.

Aussi, la plupart des agents travaillant déjà le dimanche en Haut-de-jardin sont-ils favorables à une ouverture dominicale du Rez-de-jardin.

L’augmentation de la prime dominicale (et son extension aux non-titulaires) constituerait une motivation supplémentaire pour certains agents et allégerait le poids des récupérations dans la semaine.

Des solutions existent et devraient être sérieusement étudiées par la direction de la BnF, sans attendre de lointaines échéances. Le refus catégorique qui nous a été opposé sur cette question au cours des négociations sur le règlement intérieur ne laisse pas entrevoir une réflexion constructive sur le sujet.

C’est pour nous une source d’étonnement car c’est comme si la direction n’avait pas pris la mesure de l’enjeu et n’avait pas, pour l’établissement, un vrai projet de service public. La section CFDT de la BnF considère que cette ouverture décalée de la bibliothèque est une mesure inadaptée, inapplicable et risquée à tous points de vue.

C’est pourquoi, nous avons décidé d’interpeller les membres du Conseil d’administration de la BnF sur cette question.

Il en va de la réputation et de l’unité de l’établissement. Évitons que ce grand projet ne se réduise à un " Très Grand déménagement ", affublée d’un " Haut-de-jardin " cantonné dans des fonctions d’alibi pour une politique élitiste.

 

Paris, le 19 juin 1998.

 

[Contribution du Collectif d’étude sur l’ouverture du niveau Recherche le dimanche]